Syndicalisme et Autorité

Publié le par CNT Supérieur Recherche 87

SYNDICALISME ET AUTORITÉ

(Publié en mai 1928, texte de Pierre Besnard)
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Le syndicalisme est-il autoritaire ou libertaíre ? Telle est la question que Louvet me demande de traiter.

Sans nul doute, il convient tout d’abord de définir ce qu’on entend par syndicalisme et de déclarer qu’il s’agit ici et uniquement du Syndicalisme fédéraliste, dont les principes constituent la base de la C.G.T.S.R.

A mon point de vue, le syndicalisme est un mouvement qui groupe, par voie d’associations (locales, régionales, fédérales, nationales et internationales), les travailleurs d’une même localité, d’une même région, d’une même profession ou industrie, d’un même pays, de l’ensemble de tous les pays, en vue de la défense commune de leurs intérêts immédiats et futurs, matériels et moraux, professionne1s et sociaux.


On peut dire du Syndicalisme, forme-type et réellement concrète de l’Association libre, qu’il a en vérité, toujours existé sous des formes primitives et diverses puisque, à toutes les époques de l’histoire, les hommes, comme les animaux, les minéraux et les végétaux, se sont réunis par “ famille ”, par ; affinité ; par espèce, pour se défendre, collectivement contre les périls naturels d’abord contre les animaux qui leur disputaient le droit à la vie, contre d’autres hommes, plus.tard, lorsque la force, puis la ruse, créant le pouvoir et la propriété, firent, des hommes des esclaves et des maîtres, des seigneurs et- des serfs, des pauvres et des riches, des capitalistes et des ouvriers.

On peut donc affirmer sans crainte d’erreur, que le Syndicalisme fédéraliste est un mouvement d’ordre naturel, que les groupements d’hommes sont aussi naturels que les troupeaux d’animaux libres, que les forêts de chênes et de pins, que les gisements de houille.

C’est la grande loi d’attraction universelle qui permet de réunir les molécules d’un corps, puis deux corps de même sature, de créer une vie propre à tous les corps d’une même famille : animaux, végétaux, minéraux, sur lesquels n’influent que les climats et les saisons. ,

Il en est de même pour l’homme. Comme les autres êtres vivants, il subit également la loi d’intégration ; il est appelé à faire partie d’un tout qu’on appelle ici : Société. Il est partie intégrante de ce tout. Il remplit la fonction à laquelle ses aptitudes et ses connaissances le disposent, le rendent le plus apte. De même que le cœur, les reins, le cerveau, tous les organes, assurent la vie du corps humain en complète association naturelle, en totale indépendance, les hommes assurent la vie de la Société, au sens exact du mot, en même temps qu’ils assurent leur propre vie.


Il n’est pas audacieux de déclarer qu’il ne peut pas plus y avoir de Société sans hommes, que d’hommes sans Société.

Vouloir séparer, l’homme de la Société en prétendant qu’il peut parfaitement vivre seul - toujours dans le sens exact du mot - équivaudrait à vouloir faire vivre seuls : un cerveau, un cœur, etc..., en les séparant du corps qui les réunit et sans lequel leur rôle est nul et leur existence impossible. Il en est de même pour la Société. Il ne suffirait pas, bien entendu, de la priver du concoure d’un seul homme pour qu’elle disparaisse, mais il est évident que l’absence, d’une catégorie d’hommes jouant dans son sein le rôle du cœur, du cerveau, etc., la mettraient en péril et seraient susceptibles de provoquer sa dispersion momentanée.


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Le syndicalisme fédéraliste, expression totale de l’association, ne peut donc avoir comme bases morales que la solidarité et 1’entraide, ce qui, du même coup, exclut 1’idée d’autorité et impose celles d’égalité et de liberté.

Les groupements syndicalistes : Syndicats, unions locales, fédérations, Unions régionales, CGT, fédérations Internationales d’industrie, internationale fonctionnent suivant le contrat d’association dressé par les membres (individuels ou collectifs) qui les composent. C’est ce qu’on appelle, en terme syndicaliste, les Statuts.

Ces statuts sont dressés, à 1’origine de l’association, par 1’ensemble des participants. Ils doivent recevoir 1’agrément de tous, soit qu’ils les acceptent de prime abord, soit qu’ils s ’y rallient, après mûre réf1exion.

Il est évident qu’après son adoption ; le contrat librement accepté par tous, devient la charte de l’association que tous doivent respecter et faire respecter.


Le contrat comporte bien entendu des obligations et des droits. Il a pour but de fixer dans des conditions déterminées, ce que l’associé doit donner au groupement et que, en retour, le groupement doit garantir à 1’associé.

Il est tout à fait normal que le groupement exige de 1’individu qu’il remplisse ses obligations ; il est non moins normal que l’associe exige également que le `groupement remplisse les siennes.

Cette réciprocité contractuelle, forme pratique de la solidarité et de 1’entraide, ne saurait cesser sans mettre en péril 1’existencé mémé de l’Association, du groupement.


Un associé qui prétendrait recevoir sans rien donner n’aurait plus sa place dans l’association. Logiquement, il devrait la quitter de lui-même. Si sa conscience ne lui dicte pas cette décision, il appartient à 1’association de suppléer à sa carence morale. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui, avec une certaine horreur, 1’exclusion. Rien n’est plus normal, cependant, à la condition, toutefois que la mesure de défense de 1’association soit pleinement justifiée.

Et, en allant au fond de la question, on s’aperçoit que 1’exclusion, pour un tel motif, est un acte antiautoritaire au premier chef.


Qu’arriverait-il, en effet, si, contrairement aux formes du contrat, accepté - ne l’oublions pas - par l’intéressé lui-même, ou permettrait à un associé de prendre sans donner ? Ceci : il trouverait immédiatement des imitateurs, une coterie se constituerait : cette coterie disposerait d’une force susceptible d’imposer son autorité, sa dictature, à 1’Association, dictature et autorité qui pourraient d’ailleurs parfaitement se trouver concentrées, un jour, entre les mains d’un seul homme.


Le respect du contrat d’association doit donc être absolu. On ne manquera pan d’objecter que ce contrat crée des « droits » et des « devoirs », qu’il comporte, par conséquent, pour 1’individu qui s’associe avec ses semblables, un certain abandon de ses droits. C’est exact. On peut même dire, sans crainte, que cet abandon est certain, que, la « personnalité » compose avec « le milieu », que sa liberté est "conditionnée ». Tout cela est évident .

Je fais tout d’abord remarquer 1) Que son consentement à cela est librement donné. 2) Que les autres associés, faisant les mêmes sacrifices que lui, rendent service pour service et lui donnent plus qu’il ne peut leur abandonner. Ces principes, qui sont ceux du Syndicalisme fédéraliste, ne trouvent aujourd’hui qu’une application encore restreinte, dans la solidarité intérieure et 1’action défensive des syndicats.

Mais il n’est pas douteux qu’ils sont susceptibles, à la faveur d’une révolution sociale véritable, de s’étendre à toute une collectivité, à la Société.


J’ajoute même que pratiquement, humainement, ils sont les seuls susceptibles de donner naissance à un système social où l’homme ne serait pas écrasé par la Société et où cette dernière trouverait des possibilités certaines de vie, d’évolution normale et rationnelle, de développement naturel.

Il n’est, en effet, dans 1’idée de personne, au début d’une association de « légiférer » pour 1’éternité, de forger un « corset de fer » pour les générations à venir.

Le contrat, intangible pendant sa durée d’application, n’est pas immuable dans sa lettre ni dans son esprit.

Vouloir se refuser à le modifier suivant les nécessités, les enseignements de la vie, les progrès scientifiques réalisés, serait la pire des sottises.


Au contraire, il importe que les associés aient constamment pour souci d’améliorer le contrat, de diminuer les obligations, d’augmenter les droits, dans tous les domaines.

Au fur et à mesure que les modifications s’imposeront aux associés, ceux-ci devront les effectuer.

Sera-t-il nécessaire pour modifier le contrat primitif de réunir 1’unanimité ? Certes, il sera toujours préférable que les modifications soient apportées par voie de consentement général et mutuel. Mais, s’il y a une minorité de « retardaires ”, 1’association aura pour devoir de passer outre. Il en sera de même si sous prétexte d’aller de l’avant, une minorité, bien inspirée mais peu soucieuse de 1’équilibre nécessaire ; voulait aller plus loin que ne le permettraient logiquement le développement intellectuel des associés et leur capacité de réalisation économique.

Une minorité de « retardaires » sera absorbée par le gros de 1’association ; une minorité avancée attirera à elle, si elle a vraiment raison 1’association, tout entière, jusqu’au moment où celle-ci, à son tour, donne naissance à des minorités de même nature que les premières, C’est la loi inflexible de 1’évolution.

Le Contrat pourra donc être modifié selon les principes de la loi du nombre.

Je connais toutes les objections qu’on peut faire contra 1’applicatipn d’une telle loi. Je ne les énumérerai pas ; plus que je ne les retiendrai. Actuellement, et pour longtemps, encore - pour toujours peut-être - il n’est pas possible de se soustraire à cette loi ...


On ne pourrait le faire qu’à la condition de démontrer que 1’individu peut vivre seul, qu’i1 est capable de pourvoir à tous ses besoins, qu’il peut se passer complètement et en - toutes circonstances de l’aide de ses semblables.

Cette démonstration reste à faire. Il n’est pas certain qu’elle soit faite un jour.

Jusqu’à ce qu’elle soit faite, 1e syndicalisme fédéraliste et révolutionnaire me parait être la meilleure forme de groupement des travailleurs, en ce moment pour leur défense et, plus tard, pour 1’organisation de la vie sociale avec le maximum de liberté.


Interprète constant et vigilant de toutes les manifestations de la vie, renfermant dans le sein de ses associations, toutes les forces qui concourent à la perpétuation de la vie dans tous les domaines, forces qui sont et uniquement : la main-d’œuvre, la technique et la science, le syndicalisme apparaît comme la véritable doctrine d’affranchissement et de bien-être de tous les hommes acceptant la vie en société. . Rejetant la conception de l’intérêt général en régime bourgeois qui caractérise le syndicalisme exclusivement réformiste, les syndicalistes fédéralistes n’acceptent pas davantage la doctrine du syndicalisme étatique faisant du mouvement syndicaliste révolutionnaire l’appendice d’un parti. Ils rejettent également l’idée du syndicalisme, parti de classe, assurant au nom de cette classe, la dictature collective du prolétariat et le fonctionnement de l’Etat prolétarien.

Ils n’acceptent que le Syndicalisme où individus et groupements sont libres, selon les termes mêmes des contrats auxquels ils souscrivent et s’engagent à respecter.

Ce syndicalisme là exclut la contrainte et l’autorité. Il est basé sur la liberté et la discipline consentie. Seul, il est capable de réaliser la formule : bien-être et liberté.


        

Publié dans Théorie et histoire

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